Xavier Darcos raconte Mérimée

Xavier DARCOS

Mérimée

La Table Ronde (Petite Vermillon), 538 pages, 11,50 euros

On a comparé l’attitude de Mérimée en face de la vie et de son œuvre à celle de l’Anglais qui allait au cirque pour ne pas rater le moment où le lion dévorerait le dompteur : cas sans doute unique dans l’histoire de la littérature. C’est cet exemple qui peut-être a déterminé plus tard M. Darcos à devenir ministre de la République pour observer de près le belluaire. Son livre est excellent, très documenté et fort élégant dans sa forme. Mérimée, longtemps placé en marge de son ami Stendhal, est « revenu » à son rang grâce au Carrosse du St-Sacrement, chef-d’œuvre qui a triomphé au théâtre et au cinéma ; on publie ses nouvelles, découvrant les subtilités de la Double méprise, reconnaissant la force exceptionnelle de la Chronique du règne de Charles IX. Nouvelliste, il a ce qui manque à Maupassant : le vibrato, voilé par la fausse objectivité du ton ; son romantisme n’éclate jamais, comme il surgit à la fin du Rouge et le Noir ou de l’Etranger.

Mérimée est ambigu, un mystificateur. Comme il devait être heureux, ancien « amant » de la mère de l’impératrice Eugénie, de proposer à ces dames des dictées à la Pivot et d’observer les filouteries du pseudo Bonaparte conduisant allègrement la France à la catastrophe. Faux cynique, il mourût de l’humiliation nationale de Sedan. Lui qui avait tant moqué l’indignation des gens soi-disant « vertueux », avait compris que l’hypocrisie est aussi à sa manière un hommage à la vertu véritable. Malheureusement, il aimait comme sa fille l’impératrice, avec laquelle il parlait en espagnol (étant polyglotte, il comprenait le serbo-croate qu’il appelait l’illyrien, il connaissait le russe et l’anglais). Elle l’entraîna dans le parti du voyou impérial jusqu’à devenir sénateur – étrange destin pour ce sceptique absolu. Quand Fieschi faillit nous débarrasser du mari (le chapeau de Napoléon III fut troué de part en part), Mérimée ne vit que le danger couru par sa belle enfant adoptive.

Mérimée est l’homme qui a sauvé un nombre énorme de monuments historiques et le traducteur de Pouchkine et de Gogol, double vie qui se termina au tranquille cimetière protestant de Cannes, parmi les tombes anglaises (il se vantait de ne pas être baptisé). M. Darcos nous raconte cette vie avec un vrai talent.

Jean José Marchand

 

 

 

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