Valérie GRALL

Latour-Maubourg

Grasset

210 pages 17,90 euros

Valérie Grall publie des mémoires très amusants mais dont l’intérêt historique et sociologique dépasse singulièrement celui de ce genre de livres. C’est le début du mémorial d’une génération (elle donne, coquettement, sa date de naissance : le 17 mars 1956.)

Valérie Grall se dit « allergique aux gens connus ». On la comprend après avoir lu d’une traite ses souvenirs qui nous montrent les actes et paroles de tous les gens qu’elle a connus. Elle est la fille de l’exquise Monique Grall, attachée de presse chez Gallimard, et d’Alex Grall, qui fut un temps directeur adjoint des éditions Denoël. Elle était donc dès sa petite enfance à un poste d’observation exceptionnel ; mais ceci fut retardé quelques années par la mort prématurée de Monique Grall. Elle fut donc élevée boulevard Latour-Maubourg par Mamy, sa grand-mère, une solide Française catholique, qui se consacrait entièrement à elle et à ses frères, ayant été négligée par son mari, une sorte de heimatlos, qui avait mangé toute sa fortune.

Tout changea lorsque Alex Grall devînt le « compagnon » d’une dame, mystérieuse pour les enfants, très connue sous son pseudonyme de Françoise Giroud. Alors commença un défilé ininterrompu de célébrités (provisoires). La directrice de l’Express, elle-même mariée plusieurs fois, avait donc un fils Alain (qui mourût malheureusement), une fille Caroline issue d’une seconde union avec un Russe blanc, Eliacheff, très douée et très intelligente ; elle se relevait à peine de sa rupture avec un patron de presse et politicien, petit-fils d’un des secrétaires de Bismarck, Servan-Schreiber, qui lui avait préféré une dame de haute société. La trop jeune Valérie ne pouvait lire le livre de Servan-Schreiber, Le défi américain, qu’on ne peut reprendre aujourd’hui sans sourire quand on sait l’état où ce « défi » menait les Etats-Unis… Mais, à l’époque, ces gamineries faisaient illusion : Grall et Giroud n’arrêtaient pas de parler de ce milieu avec déférence et admiration, au point que les enfants disaient entre eux : « Ils sont gagas » (p. 153).

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Il faut lire les pages très réussies où Valérie Grall reproduit fidèlement le « bla-bla » de Françoise Giroud au téléphone, se remémorer l’étonnante aventure de ce petit milieu qui tenta d’imposer au peuple français la candidature de Gaston Deferre (5% des voix !), la hantise de la grande journaliste de tout savoir avant tout le monde (elle ignora toujours que Ben Barka était lié aux soviétiques et ne comprit rien à l’affreuse réaction des services secrets et des Marocains). Cette étonnante histoire de l’Express eut au moins le mérite de faire défiler devant Valérie Grall une multitude de gens alors très connus, souvent pittoresques. Les enfants ébaubis constatent que tout le monde regarde le couple « avec un air bizarre » (p. 55).

Certains visiteurs sont très sympathiques, comme le timide Jean-Jacques Sempé, découvert par Alex Grall au fond de sa Gascogne natale (« Il est si beau ! »), mais d’autres moins. Xavier Grall soutient fermement les finances de la collection Lettres Nouvelles dont le directeur (Nadeau) publie des auteurs « peu connus » comme Gombrowicz, Borges, Lowry, Sciascia, David Rousset, Jean Rhys, Arno Schmidt. (On pense chez les patrons que ce sont des « pannes » qui ne se rembourseront jamais et que ce n’est pas avec eux que la maison d’édition pourra vivre…) Grall tient bon. Pour gagner de l’argent, explique-t-il alors, il fonde Play-Boy (magazine interdit par lui à ses enfants, auxquels la grand-mère donne une sérieuse éducation catholique). Avec Giroud, il va à La Havane, célébrer Fidel Castro ; Valérie lit en pleurant Sans famille ; au fond, c’est une très bonne petite, qui veut le bonheur des siens.

Elle rencontre alors Philippe Anthonioz, le fils de Geneviève de Gaulle, et en tombe amoureuse (à 12 ans). Philippe Anthonioz est révolutionnaire et gauchiste. C’est 1968 et les événements que l’on sait (nouveaux blabla intarissables de Françoise Giroud, très surprise par la conclusion conservatrice de cette crise). La gamine Valérie, elle, marche à fond, elle ira jusqu’au maoïsme (sic) ; elle perdra sa virginité avec un malotru qui lui reproche d’avoir taché les draps, elle donnera même un moment dans les drogues, entraînée par Rudy K., fils d’un diplomate américain ; car ces braves gens admirent une sorte de père Ubu, Mao Tse Toung, qui fait tout le contraire… chez lui.

Mais 1968, c’est aussi le moment où Nixon, rompant avec la politique de guerre froide de Kennedy et de Johnson, décide d’arrêter le conflit au Viêt-Nam et de s’entendre avec la Chine. (Evidemment, à Paris, on ne comprend toujours pas ce qu’il se passe.) Après diverses péripéties, Valérie pense à s’enfuir de la maison avec Philippe Anthonioz. (Françoise et son père, – qui se brouille avec Gallimard – sont de plus en plus jet-set). Grall est fou de rage de « l’évasion » de sa fille.

En 1975, elle a 19 ans. Pompidou meurt ; Valérie, après un séjour à New-York dans une communauté hippie, est au Mexique avec Philippe Anthonioz. Françoise Giroud fait campagne contre Nixon, accusé burlesquement d’écoutes téléphoniques par des adversaires aussi filous que lui. L’Amérique pourra se consacrer, avec Carter, à d’autres fantaisies comme le parachutage de malheureux G. I. à Téhéran et Françoise devenir ministre de Giscard, avec le succès qu’on a vu. Car le gauchisme est devenu « excessivement ennuyeux ». Françoise invite chez elle un jeune anticommuniste, Bernard-Henri Lévy ; Gilles Deleuze déclare que « les choses ne se passent pas là où l’on croit. »

Hélas, Alex Grall meurt et cet excellent récit se termine. Il est conté par l’auteur d’une manière charmante. En résumé : un livre de qualité.

Jean José Marchand

 

 

 

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