Louis-Paul Guigues

Le vin des mouches et autres récits

Gallimard 230 pages

L’œuvre de Louis-Paul Guigues (1902-1996) se compose de petits récits qui peuvent paraitre étranges ; ils sont consacrés au mystère de l’être. La réalité est mystérieuse, c’est une constatation que l’on peut faire dès qu’on réfléchit. Les sujets sont donc inépuisables comme la réalité elle-même. Les fictions courtes de Guigues, coups de projecteur sur l’infini, se présentent en « infinis contactés », comme disait le cardinal Nicolas de Cuse.

Le Vin des mouches est la première et la plus longue de ces nouvelles. Le héros, Albert, veut atteindre à la simplicité dans la magnificence ; il réunit des amis pour chercher la vérité, avec eux il joue dans son atelier une pièce, l’Abîme. Les acteurs improvisés sont sur l’arête de deux gouffres, séparés du soleil par un énorme nuage de mouches. Le protagoniste découvre alors que l’abîme est en lui-même. Il se demande s’il y a un Dieu ; il dialogue avec le démon qui lui enseigne que « les papes sont comme les mouches et les livres comme les papes ». Du monde s’exhale une odeur marécageuse. Le Tentateur lui propose le « vin des mouches », une liqueur nauséabonde ; le protagoniste préfère vivre avec son abîme intérieur. Et la vie continue.

Oriane, seconde nouvelle : le sacrifice et l’assomption de la femme devant la déchéance de l’homme ; les amants se retrouvent dans la mort, la tête d’un splendide alezan foudroyé reposant près de leurs dépouilles. Liankalina, troisième fable, montre l’irruption de la grâce, dans tous les sens du terme, dans la vie ; le linge (le voile de Véronique, le linceul du Christ comme le dévoilement dans l’érotisme) en est l’image. Une jeune fille de seize ans, Lianka, gardienne secrète d’un musicien qui s’est autrefois mutilé de sa main par amour pour sa mère, se refuse à lui et au narrateur, et en meurt elle-même.

Brouillards, le plus shakespearien de ces récits, avec sorcières folles et complaintes naïves, est méditation sur la mort, personnifiée par le lombric, ce ver rouge et répugnant, image de l’éternité puisqu’il se régénère quand on le coupe en morceaux. Le héros de ce conte aspire à retrouver l’origine et finit par y parvenir.

Guigues croit à une autre vie, où l’homme sera débarrassé des hideurs qu’il nous dépeint sans complaisance ; malgré sa critique implicite de l’Eglise, il reste fasciné par ses splendeurs d’avant 1960. Son monde, comme chez Claudel, est immense forêt de symboles et nous donne la clef de notre destinée ; mais le mystère demeure que la providence ne conduise pas l’homme à faire le bien (c’est le scandale de la prédestination) malgré la « grâce suffisante ». On retrouve ce sujet secret comme un fil d’Ariane dans toute son œuvre.

Jean José Marchand

 

 

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