Les tribulations d'un cinéaste ethnologue


Jacques d’ARRIBEHAUDE

Complainte Mandingue

Editions L’Age d’homme

318 pages

Les Mandingues est le nom générique des Bambaras et des Malinkés qui occupent l’est du Sénégal, la Gambie et l’ouest du Mali. M. d’Arribehaude est un ancien de la France Libre dans laquelle il s’engagea à dix-huit ans. De retour en France, il complète ses études et s’oriente vers l’ethnologie. Il a rapporté du Laos, puis du Tchad, de savoureux récits. Ce nouveau livre commence par la chronique du tournage d’un film ethnographique au Mali en 1960. On aurait tort de s’attendre à s’ennuyer. M. d’Arribehaude nous raconte en contrepoint d’époustouflantes histoires de décolonisation et ses amours contrariées avec une petite Danoise, épouse d’un Français, personne curieuse qui compte ses orgasmes et – il faut le dire – le mène un peu en bateau.

M. d’Arribehaude est un grand lecteur de bonne littérature ; les Mémoires de Saint-Simon et le Mémorial de Sainte-Hélène ne le quittent jamais. Il écrit à l’emporte-pièce, comme ses deux grands modèles et note d’une manière toute stendhalienne ses réactions du moment. Après avoir noté l’incurie et le détournement de l’aide étrangère, il approuve l’indépendance si la population cesse de nous imiter et continue à vivre dans sa bienheureuse paresse d’autrefois. De telles opinions ne le font pas bien voir des officiels (français et maliens).

Cinéaste, d’Arribehaude essaie de faire son petit Flaherty (bien que le Mali n’ait pas la splendeur barbare du Tchad.) Il est l’ami de son cher Joris Ivens qui est à Bamako et dont l’optimisme humanitaire le fait rire. Il lit l’Age de raison de Sartre et réagit ainsi : « Funeste bourrique devenue grâce à la complaisance américaine pour le vide en général et l’abaissement français en particulier une sorte de pape culturel de notre lamentable Occident, ainsi encouragé à battre sa coulpe et s’accuser de tous les péchés imaginables. »

Retour à Paris pour le montage et le mixage, au milieu d’un tourbillon de filles plus accortes les unes que les autres. Mais d’Arribehaude n’oublie pas ses lectures : on tombe pp. 142 à 145 sur un petit chef-d’œuvre de critique à propos de la Recherchedu Temps perdu ; cette analyse de la lutte en Proust du catholique et du juif, du père et de la mère dépasse en pertinence tout ce qu’on lu sur ce sujet rebattu.

Enfin la Danoise revient à Paris. Le narrateur veut naïvement « la sauver » (sic). Ces 90 dernières pages, qui se terminent par un désastre, sont un peu répétitives. Heureusement, un projet de film sur Céline, qui meurt avant le tournage en 1961, nous vaut un brillant reportage sur l’écrivain et on ferme le livre emporté par son extraordinaire mouvement et la verve de l’auteur.


Jean José Marchand

 

 

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