Les nouveaux Anglais

 

Jeremy PAXMAN

Les Anglais

Editions Saint-Simon, 251 pages, 19,90 euros

Après six siècles de batailles, Français et Anglais se posent toujours des questions au sujet de leur voisin. Or voici que Zeldin et Maurois semblent parler des gens d’avant 1960, pas des Anglais et des Français du XXIème siècle. Le livre, stimulant mais certainement non définitif de M. Paxman aide à réfléchir.

On connaît la fameuse boutade : « Avant 1914, les Anglais avaient pris les Français pour des Allemands ; après 1918, ils ont pris les Allemands pour des Français. » C’est du passé, surtout depuis 1968. Quelque chose a changé chez les Anglais, dans leur mentalité ; c’est cette modification que M. Paxman cerne, par une multitude d’exemples. L’insularité psychologique autant que géographique demeure. Malgré les efforts de l’Ecossais (que les Français croient Anglais) Tony Blair, la masse anglaise se méfie instinctivement : de « l’Europe », monstre enfariné qui ne lui dit rien qui vaille, - surtout des Français,- un peu des Allemands. Tous les efforts de l’intelligentsia (complètement coupée des masses dans ce pays) n’ont pas pu soigner cette allergie.

Mais pour ce que le (bon) maître Siegfried appelait « l’âme anglaise » c’est une autre histoire. L’affaire Diana est une pierre de touche. Si l’on compare la vénération du peuple anglais envers Victoria (une Allemande peu intelligente, qui ne parlait qu’allemand dans l’intimité avec son mari), avec les lazzis dont les Français, de droite comme de gauche, criblaient Louis-Napoléon (un imbécile, disait Thiers, un escroc, disait Gambetta, un criminel, disait Hugo) on voit l’énorme différence des attitudes.

Arrive Diana. Tout change. Mais en ce sens que nos néo-Anglais se mettent à adorer une femme qui se conduit tantôt comme une midinette en chaleur, tantôt comme une riche fêtarde, acoquinée avec le fils d’un milliardaire-corrupteur qui distribue de l’argent aux membres de la Chambre des Communes pour changer leurs votes, et auxquels les services de l’immigration, pourtant laxistes, refusent la nationalité anglaise ! On est loin de l’extrême discrétion (protégée par la police) avec laquelle les reines d’Angleterre avaient parfois trompé leur mari. Que Diana ait amusé les Français, pour qui le sexe a toujours été un passe-temps, et intéressé les Italiens, qui adorent les bambocheuses pourvu que ce ne soit pas leur femme légitime, rien que de normal. Mais les Anglais ? Cela donne à réfléchir.

Diana était un symbole, aux yeux des braves gens, des victimes de l’ordre ancien ! Le monde capitaliste, sauf les Etats-Unis, toujours conquérants, se croit victime, se pense déchu d’une situation supposée enviable. On a même inventé un barbarisme pour nommer cela, la « victimisation ». Or l’Angleterre est la plus « victime » de tous les pays. Ayant abandonné sa vieille doctrine « Wait and see », lors de la proposition de paix de Hitler avant Dunkerque, ayant refusé de laisser la France à son triste sort (à la grande stupéfaction de Pétain et de Weygand), elle s’est crue victorieuse, a perdu sa flotte, sa supériorité maritime, le fret, ses colonies, s’est mal reconvertie (au rebours de la France qui se lança dans les « Trente glorieuses » de 1945 à 1975). Or Diana a paru victime de sa traditionaliste belle-mère et de son inoffensif mari. La détestable presse anglaise (pire que la nôtre) la présentait comme une malheureuse. Et voici qu’elle fut victime vraie d’un accident mortel ! Il n’est pas étonnant qu’elle ait été canonisée par l’opinion publique.

L’Angleterre est fascinée par son déclin. Le livre de M. Paxman montre toutefois que subsiste, comme disait Martha Gellhom, l’ancienne femme d’Hemingway « la totale indifférence du pays », tempérée par la croyance curieuse que la violence et l’ivresse publique sont devenus des droits démocratiques (les « supporters » anglais sont les plus violents d’Europe) ; indifférence et violence, deux manifestations opposées d’une profonde déréliction, exprimée depuis toujours par le sens de l’humour : se moquer perpétuellement de soi. Les Anglais gardent le besoin de se sentir menacés, (en particulier par leur voisin le plus proche). Leur hypocrisie célèbre (et indubitable) n’est-elle pas la rançon de ce masochisme anglais (également célèbre) ? Car si on reste étonné qu’une Eglise aussi laxiste que l’Eglise anglicane ait accepté, jusqu’au XIXème siècle, la persécution ouverte, puis larvée, des catholiques, c’est sans doute parce qu’elle y a été entrainée par le peuple lui-même, dans son désarroi et son puritanisme d’alors. Aujourd’hui certes, tout s’arrange autour d’une tasse de thé, et on parle du temps qu’il fait (il n’y a pas de « conversation » anglaise à la manière française). Mais la violence est sous-jacente, contenue autrefois par la pratique du sport et du cricket, aujourd’hui par la sexualité (surtout féminine, d’après ce que tout le monde dit).

La pire des aventures est arrivée à l’Angleterre, le succès mondial de l’anglo-américain, sabir qui se déploie comme un accordéon au point qu’il faut réviser sans cesse les dictionnaires (« l’anglais nouveau »). Quand on entend quelqu’un parler Polonais, Français, Allemand, on sait de qui il s’agit. Quand on entend cet anglais-là, on ne sait pas qui c’est : un Européen dégénéré, comme l’ex-secrétaire général de l’OTAN, Joseph Luns, qui ne savait plus parler le néerlandais, ou un homme du tiers-monde ? La force ici se transforme en faiblesse, et comme disait l’Irlandais Wilde, classique de la vieille langue anglaise, le vin anglais se transforme en eau.

Jean José Marchand

 

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