Le Journal de Léon Bloy

 

Léon BLOY

Journal inédit tome III

L’Age d’homme, 1384 pages

78 euros

L’Age d’homme poursuit son effort de publication de l’œuvre complète de Bloy, parachevant la grande œuvre de Joseph Bollery, dont les papiers sont conservés à la bibliothèque de La Rochelle. Ce texte de journal inédit de janvier 1903 au 31 décembre 1907 a été établi par Marianne Malicet, Marie Tichy et Joseph Royer. Il engendre diverses réflexions.

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Il s’agit d’un premier jet, d’une suite de notations, de « pense-bêtes » entremêlés de notations quotidiennes, de cris de rage impuissante et de cris mystiques avec des niaiseries du type : « les enfants reçoivent des sacs de bonbons ». Les plaintes sont perpétuelles, si nombreuses qu’on finit par se rendre compte que cet homme n’a jamais travaillé, qu’il attendait tout de la charité publique : étrange conception de la parabole du « lys des champs » (mais Jésus lui-même était pourtant menuisier, et lui n’a jamais insulté les généreux donateurs ainsi que le furent tant de braves gens) ; quand on lit dans Bollery l’histoire de leurs relations, c’est Paul Bourget qui devient tout à fait sympathique, en gardant son calme en face de ce roquentin furieux. Il y a là de quoi lasser les admirateurs les mieux disposés dont nous sommes.

En scrutant les lettres à l’abbé Jury (qui finit d’ailleurs par jeter le froc aux orties), on saisit le curieux mécanisme de pensée de celui qui se croyait élu de la Providence. Certes on lui pardonne tout à cause de son génie de styliste : heureusement que nous avons lu ses autres livres ; rien de plus convaincant, esthétiquement parlant que celui qu’il a consacré à Zola : Léon Bloy devant les cochons. La splendeur du texte, la violence de la conviction, éclipse littéralement la prose médiocre de Zola. On ne réfléchit plus. Je me souviens de mon ami Guy Marester, pourtant fondamentalement de « l’autre bord », me lisant avec délices des pages entières de Bloy marquant au fer rouge les cacographies de sa malheureuse victime. (« Vas-y cochonne ! M. Emile te regarde. »)

Les bondieuseries naïves du Journal, les comptes financiers intempestifs, et surtout les remerciements à Dieu pour la résignation de ses enfants (qui mouraient de faim) nous rappellent à l’objectivité. Il méprise « tout le monde au Danemark », il trouve « notre curé de plus en plus imbécile et odieux car il semble pressé de nous chasser de son église », sa propriétaire (qui lui réclame son dû) est un monstre…

C’est en avril 1904 que Bloy revient de Lagny à Paris ; à ce moment tout un monde d’intellectuels vient tourner autour de son logis de Montmartre. Il a le soutien du merveilleux Alfred Vallette ; il voit souvent un disciple d’Albert Samain qui va gagner de l’argent en se faisant poète argotique, Gabriel Randon (dit Jehan Rictus), toutes les dupes du monde catholique refluent vers lui et en particulier l’angélique Jacques Maritain pas encore attiré par l’américanisme. On retiendra en particulier le récit de la terrible aventure du peintre maudit Henry de Groux, enfermé à Florence dans un asile d’aliénés, avant d’errer de Spa à son dernier refuge provençal. On apprend ici que de Groux a vécu un moment en faisant à la terrasse des cafés ce qu’on appelle des « binettes », des portraits comme on voit aujourd’hui fabriqués à la grosse non loin du Centre Pompidou. D’autres peintres viennent à lui, en particulier le grand Georges Rouault et aussi Desvallières, génie chrétien qu’il ne comprend pas bien, obnubilé par sa bigoterie.

Il a alors soixante ans. IL peut aller à La Salette, voir la réalité de ce sanctuaire qu’il contribuera à rendre célèbre. Ce nouveau culte marial étant caractéristique (malheureusement) d’un siècle vaurien, sans rapport avec celui des sublimes cathédrales. Bloy vilipende d’ailleurs le clergé local, il est bien plus touché par la tombe de l’abbé Tardif dd Moidrey (1828-1879), précurseur involontaire de Claudel. Il croit que la petite Mélanie a eu des « révélations » sur Louis XVII, fait une nécrologie assez désagréable sur Huysmans. Un lecteur nommé Latourette (probablement le poète Louis Latourette) lui promet de lui « casser la gueule » et il court se réfugier auprès de la police. Le franc-maçon Fallières, président de la République, ayant gracié l’assassin Soleilland, notre grand chrétien s’indigne. Mais les intellectuels lui sont indulgents et Vincent d’Indy accueille gratuitement sa fille à la Schola cantorum si célèbre.

Jugement de sa concierge sur les Bloy : « Ce sont de sales jésuites. » Oui mais : Bloy a écrit parmi d’autre œuvres La lamentation de l’épée, l’une des plus grandes pages de la littérature française.

Jean José Marchand.

 

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