Les derniers événements apportent une nouvelle confirmation aux prophéties d’Oswald Spengler qui se réalisent maintenant avec une obsédante précision.

Rappelons brièvement ce qu’annonçait Spengler dès 1916. Selon lui, les grandes civilisations, qui surgissent ou se succèdent de façon aléatoire, sont semblables, conformément à une géniale intuition de Goethe (l’urphaïnomen) à des plantes : elles ont leur jeunesse, leur adolescence, leur maturité, leur déclin et leur mort : chaque période a une manière spécifique d’aborder le monde. La nôtre, qui est née au déclin de l’empire de Charlemagne, a connu la féodalité (jeunesse), l’essor de la bourgeoisie et des communes (adolescence), l’âge classique (maturité), le capitalisme et sa conséquence la démocratie (déclin) et va vers sa mort (impérialisme). Les grands massacres du XXème siècle correspondent à la transition du déclin à la mort.

Une grande quantité de gens (y compris le signataire de ces lignes) ont douté longtemps de la pertinence de ces analyses, surtout après les échecs successifs du fascisme (1945) et du communisme (1990). Un tout autre avenir semblait annoncé par la montée des peuples de couleur (sur laquelle Spengler a écrit des pages étonnantes dans Années décisives, son dernier livre, où il s’oppose à la fois à la théorie d’Hitler, ce qui lui valut l’exil intérieur en Allemagne jusqu’à sa mort, et au credo des « démocraties »).

Or les derniers événements sont absolument conformes à ses prévisions. Spengler constatait, après d’autres, que l’état populaire, quand il s’appuie sur une réussite technique et militaire tend vers l’impérialisme. C’est Alexandre succédant aux cités grecques, Napoléon après la Révolution française. Mais il existe un stade ultime de ces convulsions « démocratiques », l’âge des Césars, l’imperium. Que se passe-t-il alors ? Au début des tribuns de la plèbe se transforment en généraux, malgré les réserves de l’armée traditionnelle, toujours liée au passé et à la discipline (ce qui va la transformer d’abord, pendant quelques années, en instrument) ; les généraux-politiciens sont acclamés par le peuple, deviennent avides de pouvoir plus encore que d’argent (mais l’un ne va pas sans l’autre). Enfin la puissance dominante parmi les républiques et royaumes combattants, réunifie un grand espace de civilisation (c’est ce que nous constatons aujourd’hui avec les Etats-Unis, qui, après avoir absorbé l’Europe, déjà aux quatre cinquièmes colonisée, et l’Islam invertébré, va se faire tenir en respect par les Chinois, ces nouveaux Parthes.)

Après une période intermédiaire de guerres presque ininterrompues, mais aussi de littérature et de peinture très vivantes (quoique moins essentielles que celles de la période classique), de philosophie antiphilosophique (Lucrèce, et chez nous Wittgenstein et Heidegger), d’architecture prolifique (mais sans Parthénon et sans Mansart ou Gabriel), la période impériale va commencer : fin des arts, sauf l’architecture ; fin de la philosophie remplacée par une morale impuissante du type cicéronien ; fin d’une littérature obsédée, du genre Martial ou Satyricon ; fin de la religion traditionnelle (pour les Anciens, c’avait été le stoïcisme, pour nous c’est le nihilisme) ; résurgence en force des superstitions, de l’astrologie et triomphe de l’hédonisme agnostique dans les classes moyennes.

L’Occident, nous dit Spengler, s’écroulera sur lui-même, bien plus que sous les coups de barbares stupides et guerriers. Mais ce sera long (300 ans environ). Et il faut encore vivre une soixantaine d’années de transition, (de « Sylla » à « Auguste ».)

Attendons la suite.

Jean José Marchand

 

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