La lucidité de Pierre Prion

 

L’excellent article de Jean Nicolas dans La Quinzaine Littéraire omet de mentionner un des extraordinaires mérites de Pierre Prion : la lucidité d’approuver la politique de Louis XV et de Choiseul, politique dite de « renversement des alliances ». Je rappelle brièvement la situation : depuis la fin du règne de Louis XIV, on assistait à une montée de la Prusse. Les intellectuels, en particulier Voltaire, chauffaient l’opinion en faveur de Frédéric II, réputé « homme des lumières ». Les « philosophes » et l’opinion suivaient, jusqu’au moment où Voltaire s’aperçoit que le machiavélien Frédéric l’avait complètement berné. Mais il était trop tard. La montée de la Prusse menaçait l’équilibre européen. (Les conséquences sont incalculables, jusqu’en 1945…)

Certes, l’alliance russe, avec l’impératrice Elisabeth Romanov, avait rétabli un moment la situation : les cosaques prennent Berlin, Elisabeth parla d’annexer Königsberg et Berlin, et Frédéric envisagea de se suicider à Clèves. Mais Elisabeth Romanov meurt ! La France perdit la guerre, la Russie passait à l’ennemi et notre vieille alliée, la Turquie venait d’être battue par le prince Eugène (d’où le traité de Belgrade en 1739).

C’est alors que Choiseul, appuyé par Mme de Pompadour, décida le renversement des alliances : la France s’allie avec Marie-Thérèse et l’une des conséquences sera le mariage autrichien (le benêt futur Louis XVI avec Marie-Antoinette, à la tête légère).

Bien entendu, le parti « philosophique » va lancer une campagne xénophobe contre « l’Autrichienne ». La Prusse est alors considérée comme « progressiste » (alors que l’empereur Joseph II était bien plus « progressiste », aimant fort peu les prêtres). Une cabale avait écarté Choiseul, remplacé par Vergennes, qui considérait l’Angleterre comme l’ennemi principal. Joseph II tenta en vain de sauver la politique d’entente avec l’Autriche. Vergennes nous lança dans la guerre contre les Anglais, en Amérique : nouvelle décision aux conséquences imprévisibles alors ! Les « Insurgents » étaient faibles et Washington médiocre général. C’est Rochambeau qui battra l’armée anglaise (victoire de Yorktown) et l’amiral de Grasse la flotte anglaise à Chesapeake. Or cette guerre reposait entièrement sur les finances de la France. La dette fut colossale : ce sera l’une des causes de la Révolution française, car la paysannerie et la bourgeoisie regimbèrent à payer les impôts. Le premier ministre, un Suisse, Necker, banquier particulièrement obtus, refuse l’inflation préconisée par Calonne. Et ce sera la révolte du peuple.

Or, le brave Prion, au milieu des garrigues du Languedoc, a parfaitement compris les raisons du renversement des alliances, s’il n’a pas assez vécu pour voir les conséquences de l’autre politique : fin de l’équilibre européen, montée de la Prusse, trente ans de guerres ininterrompues, la dictature succédant à la misère populaire sous le Directoire.

Il est remarquable qu’un simple paysan, grand lecteur il est vrai, ait été plus lucide que Voltaire et les « intellectuels » de son temps.

Jean José Marchand

 

 

Accueil - Journal de lecture - mentions légales - contact