L'assassinat de Henri IV

 


Roland MOUSNIER

L’assassinat de Henri IV
Gallimard

376 pages 22,80 euros

Le livre de Roland Mousnier est un grand classique ; sa réédition était très attendue.

Dans une préface excellente, Mme Arlette Jouanna, rappelle dans quelles circonstances ce livre fut écrit ; l’une des nombreuses tentatives d’assassinat du général de Gaulle, celle du Petit Clamart, qui faillit réussir. Elle aurait pu pousser le parallèle jusqu’au bout, car dans les deux cas il y eût maldonne et grandes difficultés pour le pouvoir : autrefois, obstacle pour un protestant fraîchement converti devant la nécessité politique de faire la guerre à Philippe III, héraut du catholicisme européen ; de nos jours, l’obstacle pour un pouvoir considéré comme « de droite » de réaliser l’indépendance de l’Algérie, alors que l’armée avait largement battu le FLN, en face de la conjonction de la droite nationaliste et de la gauche socialiste (la direction communiste tentant alors de freiner ses électeurs, partisans, eux, de l’évacuation immédiate). Dans les deux cas, il fallait combattre des gens qui auraient dû être favorables. Ce fut mal compris. Ainsi, malgré la publication de son Journal intime politique en trois tomes, la légende persistante d’Alain Peyrefitte extrémiste, alors qu’il avait tenté de convaincre De Gaulle, pressé d’en finir, de garder Oran et Alger, villes alors à 80% « Pied-Noir ». Cette légende vint des décisions qu’il fut obligé de prendre ensuite à l’ORTF, d’où une réaction bien compréhensible du personnel (j’en puis témoigner, étant alors à la direction de la télévision).

Henri IV, de Gaulle, deux hommes pris au piège par l’Histoire, allant contre leur tendance profonde, qui était l’union des Français, avec la victoire de Fontaine-Française sur les protestants, avec des horreurs comme le départ de chez eux d’un million de chrétiens et de juifs, augmenté de 250 000 musulmans (en comptant les femmes et les enfants) en cinq jours. Malgré plus de vingt tentatives d’assassinat, de Gaulle en réchappa, Henri IV (dix tentatives ?) en est mort.

La belle préface de Mme Jouanna évoque le problème théologique, (qui nous dépasse) : comment un catholique fervent, même un peu détraqué, (dont l’honnêteté et la sincérité ne sont contestées par personne), pût-t-il devenir un régicide ? Et ceci alors que la doctrine du Christ, répétée par Saint-Paul et tous les papes, est qu’il faut obéir au pouvoir de César, coûte que coûte : l’Eglise a prié pour Néron, prié pour Staline, pour Hitler, pour ses pires ennemis. En cela, Jésus s’opposait fermement à l’Ancien Testament (« œil pour œil, dent pour dent »). Une telle discussion, qui n’est pas du ressort de l’Histoire, n’a pas à se poser ici ; On lira les admirables pages de Mousnier sur le tyrannicide selon les théologies ; l’auteur la résume avec une clarté d’autant plus lumineuse que la question ne se pose plus aujourd’hui en ces termes.

*

Revenons au problème de l’action politique d’Henri IV, admirablement analysée par le catholique Roland Mousnier, d’une étonnante impartialité (son analyse des catholiques et des protestants est un modèle) ; le problème social, là encore, complique la politique générale et extérieure. Sully avait été obligé, après une baisse de la taille, d’opérer une dévaluation de 7,65%, d’où l’immense colère des créanciers : le Parlement de Paris se révoltait ouvertement. Comme Louis XIV – mais beaucoup plus faible que lui – Henri IV s’attaquait aux Grands ; il avait même fait trancher la tête de son ami Biron, comme hélas de Gaulle a fait tirer sur des Français. On l’accusait de tyrannie chez les « clercs » (c'est-à-dire les intellectuels de l’époque). Près de la moitié de la France était composée de « Ravaillac de cœur », comme le fut plus tard une coalition hétéroclite, gauche et droite rassemblées, d’antigaullistes de cœur.

La politique du roi était la politique de la France telle qu’elle se lit dans l’Histoire. La France s’est faite contre le Saint Empire, héritier abusif de Charlemagne, et contre l’obstruction de l’Angleterre. Elle a trouvé l’aide d’un allié à l’Est, la Turquie, puis la Russie – en face de ce qu’on appelle curieusement aujourd’hui l’Europe (héritière du Saint Empire, appuyée par certains ultramontains catholiques, troublés dans leurs deux fidélités).

La discussion porte sur ce qui se serait passé au cas où Henri n’aurait pas été assassiné (à l’instigation ou non des ligueurs). Selon Mousnier et les historiens « européens », il allait à l’échec. Selon l’autre thèse, ç’aurait été un premier Rocroi ; l’infanterie espagnole écrasée, les Pays Bas, Juliers, la Gueldre peut-être annexés, Paris couvert des invasions venues de l’Est. Nous ne saurons jamais, pas plus que nous ne saurons si Ravaillac a agi seul (car d’autres étaient prêts à le remplacer, jusqu’à l’assassinat).

Reste à expliquer la légende de Henri IV, qui ne correspond qu’à moitié à ce qu’il fut en réalité. Sur cette question, Roland Mousnier nous donne une étude proprement géniale. Car l’image du roi est beaucoup plus déformée que ne l’est celle de De Gaulle, (sanctifiée aujourd’hui par des hommes politiques qui le haïssaient). Mousnier montre non seulement pourquoi mais comment il en fut ainsi. C’est une véritable leçon de politique à l’usage de nous tous.

Ecoutons-là, remercions encore ce grand historien (1907 – 1993).

 

Jean José MARCHAND

 

 

Accueil - Journal de lecture - mentions légales - contact