Découverte baudelairienne inespérée: quatre partitions du compositeur Emile Douay

 


Emile Douay, musicien romantique, était méconnu du grand public mais très apprécié des vrais connaisseurs de son temps, et de Baudelaire en particulier.

Il était né en 1802, comme Victor Hugo, mais à Paris. Au Conservatoire, il fut élève de Reicha (1770 – 1836) pour le contrepoint et la fugue, donc baignant dans l’atmosphère beethovénienne. Il devint d’abord premier violon et chef d’orchestre adjoint du Gymnase dramatique français (1823) malgré son jeune âge. En 1831, il se retira, ne donnant plus que des leçons particulières pour vivre, et se consacrant à la composition.

En 1843, il fit jouer une première symphonie, rue Neuve – Vivienne, sous-titrée « Création, vie et destruction » ; elle enthousiasma la jeune école, en particulier Banville, Baudelaire et leurs amis. Cette symphonie, dont la partition n’a pas été imprimée, semble perdue. Il y eut deux autres exécutions. On y reconnut une grandeur à la Beethoven et à la Berlioz, mais le goût du grand public allait surtout à Rossini.

Douay partit alors pour l’Allemagne où il voyagea six ans, suivant tous les concerts de la nouvelle école allemande. De retour à Paris, il fit exécuter en 1850, à la salle Ventadour, deux grandes compositions : Christophe Colomb et La Mer, une voix dans l’orage. On était en pleine retombée de la révolution de 48, et en pleine montée du Prince – président. Le public fut assez favorable, mais il préférait un romantisme plus affadi comme les premiers opéras d’Ambroise Thomas ou les dernières œuvres d’Auber (dont pourtant la jeunesse avait été fougueuse : Wagner adorait la Muette de Portici).

Le Second Empire ne fut pas vraiment propice à la composition musicale. En 1851, Douay donna aux Italiens une Jeanne d’Arc avec chœur et orchestre et une Chasse royale, dont le succès fut mitigé. Pour vivre il avait repris sa place de premier violon, mais composait de la musique de chambre comme on verra plus loin.

Il donna aux concerts Pasdeloup une deuxième symphonie, très applaudie par les musiciens et les connaisseurs aux répétitions, mais sans succès auprès du grand public, (celui-ci acclamait Lalla Roukh de Félicien David). La symphonie de Douay est perdue, l’éditeur Choudens ayant reculé devant l’impression. Heureusement Douay put faire éditer plusieurs mélodies, d’un style à la mode de celles de Berlioz, et un Homère, pour voix et orchestre qui se trouve à la Bibliothèque de l’Opéra (qui fait partie de la BNF).

Grâce aux conseils de la Bibliothèque Inguimbertine, je viens de découvrir (chose inespérée) plusieurs compositions importantes de Douay. Elles gisaient, oubliées, à la British Library, épargnées par les bombardements de 1940 – 1944.

Il s’agit de :

1) – Quatuor pour deux violons, alto et violoncelle (1859)

2) – Quintette en la pour deux violons, alto et violoncelle (1859)

3) – Quintette en ut pour deux violons, alto et violoncelle (1859)

4) –Douze improvisations pour violon avec accompagnement de piano (1860)

Douay avait alors près de soixante ans et il ne se décourageait donc pas. Sachant qu’il avait écrit pendant ses séjours à l’étranger ou quand il donnait des leçons pour vivre, j’avais sollicité les Archives beethovéniennes de Bonn, les bibliothèques (très riches) de l’Allemagne de l’Est, puis Prague, Budapest, Uppsala. Partout on m’envoya des réponses empressées ; mais rien, aucun manuscrit. A Karlsruhe, on indique une transcription par Douay, du Ranz des vaches du canton de Glaris, conservée à la Bibliothèque bodléienne d’Oxford, (ce qui me ferait penser que Douay est passé en Suisse ou y a joué ?) Je fais appel à tous les particuliers ou bibliothécaires. Je remercie tout particulièrement les conservateurs de l’Inguimbertine, à Carpentras, Jean-François Delmas et Pierre Tribou, dont l’aide a été décisive. Je salue la mémoire de José Bruyr, qui avait fait à ma demande des recherches sans résultat.

La famille Douay a établi un arbre généalogique remarquable. (L’origine des Douay est franc-comtoise. Le cousin de notre musicien, Albert Douay (1809 – 1870) a même son monument en Alsace.) Personne n’a pu retrouver l’acte de décès d’Emile Douay. Mon ami Guillaume Louet tente de trouver une formation qui enregistre les partitions (que je possède).

Depuis des années, Jean Ziegler et Claude Pichois, tous deux disparus, m’avaient encouragé. Si je n’avais pas lu dans Charles Asselineau, que Baudelaire avait confié à Douay le soin d’écrire la musique de son opéra Don Juan (dont le paresseux poète égara ou ne termina pas le manuscrit) je n’aurai pas découvert ces partitions. Merci, Asselineau.

Jean José Marchand

 

 

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