Abdellatif Laâbi

 

Le livre imprévu

Œuvre poétique(tome II, tome I paru en 2006)

Editions de La Différence 221 pages 17 euros et 525 pages 35 euros

Agé seulement de 68 ans, Abdellatif Laâbi publie le deuxième tome de son œuvre poétique complète, accompagné de pages récentes de son journal intime. Quel est le sens de cet effort ?

Après quelques considérations liées aux jours qui passent, Laâbi aborde dans Le livre imprévu un problème de fond : son rapport personnel et intime avec le Maroc. Il y a un demi-siècle, il criait avec la foule : « Vive l’indépendance ! ». Elle fut. Aujourd’hui, il pense que la porte n’est pas ouverte. A part une petite crise de mysticisme, il a l’impression d’être entré dans un ordre immuable. Son premier problème n’est plus celui de la révolte mais le plongeon inquiet dans ce monde « virtuel » où vivent les jeunes d’aujourd’hui dans son pays ; il lui a fallu partir et venir en France et c’était un autre danger, celui de la fuite. Laâbi l’évita en écrivant, refusant le rôle de l’exilé tragique, avec modestie et gentillesse même.

Pourquoi écrire en français ? C’est devenu presque involontaire chez beaucoup de ses compatriotes, les femmes diplômées allant jusqu’à émailler de mots français leurs discours familiers, à la maison, alors que sa mère pensait être « originaire d’Andalousie ». Pour compléter ce dépaysement, la femme de Laâbi est Française (de Meknès). D’où un débat intérieur sur la question de « l’identité », qui ne doit rien aux modes françaises. Il l’éprouve en Turquie, en Palestine ; il reste pudique, sur une aventure audacieuse avec une Juive, puis avec la petite-fille du grand rabbin de Meknès. Les femmes resteront pour Laâbi longtemps mystérieuses.

Solidaire des Palestiniens, il fera donc des découvertes très surprenantes pour le lecteur, par exemple à l’université arabe de Jérusalem. Son récit s’infléchit alors en hommage aux morts, et surtout Darwich, dont il fut le premier traducteur, mais aussi à Cossery (copte et écrivain français). Transplanté mais resté le même, il aime beaucoup Créteil où il vit en pensant (prématurément) à la mort. Il en parle d’ailleurs presque aussi bien que de la naissance de sa petite-fille.

Récit éclaté donc, qui satisfait mal à notre goût classique. Cette fluidité est encore plus marquée dans ses poèmes. L’abondant recueil de ses poésies complètes est très inégal, avec parfois un certain manque de concentration (mais pas toujours) :

Dans les yeux

le regard s’allume et s’éteint

Un moment

et le sablier éclate

D’où vient

ce parfum d’énigme ?

Le poète médite sur le voile :

Le bannir ?

Je veux bien

à condition de réhabiliter

la face humaine

à l’endroit du devoir

et de l’humiliation

envers et contre tous les voiles.

 

Position ambigüe mais qui ne satisfera aucun fanatisme.

Jean José Marchand

 

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